13/06/2023

Témoignages

Du côté des hommes

Nous le savons, l'équilibre de la relation entre les hommes et les femmes est modifié depuis une trentaine d'années, et particulièrement dans les pays occidentaux. Un challenge important pour vivre la diversité réconciliée. L'élément essentiel ne reste-t-il pas de savoir nous écouter les uns et les autres, dans nos différences d'histoire, d'opinions, de ressenti masculin et féminin?

La diversité rend la vie féconde

J’ai 27 ans, je suis Polonais, je viens d’une fratrie de quatre enfants, deux filles et deux garçons, ma maman est institutrice dans une petit école, mon père travaille en maçonnerie. Chez nous, les hommes et les femmes savent cuisiner et fendre des bûches de bois à la hache, et les tâches quotidiennes sont partagées.

J’ai l’impression que, dans mon pays, on respecte les femmes. Je me souviens, quand à l’école pour la « journée des femmes » on donnait des tulipes à toutes filles de la classe et quelques jours après, les filles nous donnaient des petits cadeaux pour le « jour des hommes ». Des gestes de gentillesse envers les femmes font partie de notre héritage et de notre tradition, comme ouvrir la porte ou aider à porter des courses… Arrivé en France, j’ai eu le sentiment que ces gestes n’étaient pas toujours bien vus par certaines femmes, parce que ressentis comme humiliants, et cela m’a beaucoup surpris. Mais je me rends compte que, d’une part, nos cultures sont différentes, mais aussi que le respect signifie plus qu’ouvrir des portes et donner des fleurs une fois par an. Par exemple, si dans mon pays en général on respecte les femmes, dans l’Eglise en Pologne on ne voit pas très souvent des femmes avec des grandes responsabilités.

A la fin de mon lycée quand j’ai commencé à « sentir » l’appel de Dieu et à me poser des questions, c’est justement une femme qui m’a accompagné dans mon discernement : une religieuse, qui habitait juste à côté de mon lycée et rencontrée dans le cadre de la pastorale. A ce moment si important lié à la question de ma vocation, j’ai été très touché par son respect et sa délicatesse. Une écoute et une disponibilité que j’ai appréciées et qui m’ont permis d’entendre et de reconnaitre la voix du Seigneur dans mon cœur.

Un peu plus tard, lorsque j’ai rencontré la Communauté du Chemin Neuf, plusieurs surprises et même chocs m’attendaient : en Pologne, voir une sœur gérer l’organisation d’une paroisse est tout-à-fait inhabituel ! Ensuite, dans la Communauté au France, j’ai vu plusieurs femmes mariées et des célibataires consacrées exercer des responsabilités importantes, et c’était une vraie surprise. Cela m’a permis de découvrir ce que le Pape François nomme dans son dernier livre Au nom de Dieu, je vous le demande. Dix chemins pour un monde meilleur, lorsqu’il parle du « génie féminin », qui se révèle aussi dans le domaine décisionnel. Ses paroles me rejoignent profondément : il écrit que des femmes occupant des postes dans la société peuvent changer le système : « Des approches innovantes, avec une plus grande sensibilité sociale, une plus grande empathie, une perspective de bienveillance comme ligne directrice générale, ont montré que des rôles accrus aux femmes dans la société est un signe d’espoir pour l’avenir ».

Nous sommes une communauté mixte qui porte les responsabilités ensemble ; nous prenons des décisions ensemble et c’est une grande richesse, une opportunité, et le défi de laisser se déployer les perspectives féminine et masculine, dans la diversité, et sans écraser aucune d’elles. Plusieurs fois j’ai été interpellé en travaillant avec des sœurs dans les différentes missions par leur attention aux personnes, aux détails, à des choses que je n’ai même pas vues, mais qui sont importantes et qui permettent de mieux prendre soin des autres, c’est-à-dire de mieux les aimer. Une exemple très parlant, c’est la préparation des menus pour la semaine : je prévois surtout les grand lignes, des quantités etc… et ce sont souvent des sœurs qui pensent aux régimes (liés aux allergies et aux problèmes de santé). Il s’agit de peu de personnes, mais qui ont davantage besoin d’attention.

Je pense que cette perspective féminine enrichit la perspective masculine, et n’en enlève rien, au contraire ; elle permet de devenir plus homme.

Plusieurs fois, j’ai été touché par la douceur de leurs gestes très simples. Cette manière de gouverner basée sur « le soin de l’autre » nous fait beaucoup de bien. Savoir que chacun de nous a sa place respectée. En travaillant avec une sœur dans la pastorale des jeunes d’un foyer, j’ai remarqué que son attention et sa douceur aident à une ouverture de cœur et une confiance, pour construire les relations. Il y a même des moments où je me demande : « Pourquoi les jeunes vont-ils beaucoup plus souvent voir cette sœur que moi ? ». Dans ces moments, il y a une espèce de bonne jalousie en moi qui me fait poser la question : pourquoi n’ai-je pas ces capacités de compassion et d’écoute ? Non pas dans un esprit de comparaison, mais pour me laisser interpeller par nos différences.

Je pense que cette perspective féminine enrichit la perspective masculine, et n’en enlève rien, au contraire ; elle permet de devenir plus homme. La rencontre avec l’empathie nous permet de la découvrir encore plus en nous-même. J’ai alors l’impression de recevoir plus que je n’attends. En conséquence, cela me montre des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé, cela m’aide à construire ma propre sensibilité, devenir plus humain, aspirer à être un jour le berger selon le cœur de Dieu, qui connaît et prend soin de ses brebis. Cette diversité m’édifie. Pour moi, cette mixité que nous avons la chance de vivre est vraiment un cadeau à partager avec l’Eglise et le monde. Pour un monde plus juste, plus humain.

Je vois également deux peurs liées à l’évolution des rôles de l’homme et de la femme dans nos sociétés et l’Eglise. Donner des responsabilités importantes aux femmes, mais sans rien changer de nos manières de faire, voilà ma premiere crainte, car cela ne suffit pas. Nous avons besoin d’accepter les femmes avec ce qu’elles sont et leur manière de faire qui n’est pas la même que la nôtre. Certainement, il y a des tensions entre ces deux manières de faire, de gouverner et c’est normal. Mais, je pense que cette tension ne sera féconde que si chacun et chacune a la possibilité d’être lui-même ou elle-même, dans son intégralité. En étant libres, nous pouvons dialoguer et chercher les meilleures solutions ensemble. C’est pourquoi nous avons besoin de vivre un changement de mentalités et non pas seulement de structures.

La deuxième peur, c’est celle de l’autosuffisance. A notre époque, nous voyons de nombreux mouvements qui se battent pour les droits des femmes et c’est bien. Nous voyons aussi des mouvements féministes qui disent que les femmes n’ont plus besoin des hommes. J’ai peur de cette autosuffisance de ne plus avoir besoin de l’autre. Dans nos sociétés occidentales, l’individualisme nous rend plusieurs fois malheureux, en commençant par la crise écologique, le consumérisme et le renfermement sur soi- même. Je pense que ce changement par rapport à la place des femmes dans la société devrait plutôt nous rapprocher les uns des autres, susciter la rencontre et le dialogue, et non pas l’inverse.

J’ai peur de cette autosuffisance de ne plus avoir besoin de l’autre.

Cela ne signifie pas que seules les femmes ont besoin des hommes, car les hommes ont besoin des femmes dans la même mesure, et aujourd’hui nous avons besoin d’entendre cela et l’incarner à travers nos manières de gouverner et de prendre des décisions. Nous, les hommes, nous avons besoin d’assumer notre responsabilité, ce rôle important pour devenir des vrais frères et des pères, qui soutiennent et qui rassurent. Pour moi, en tant qu’homme, je sais que j’ai besoin de faire effort pour entendre la perspective féminine de mes sœurs, même si c’est plus confortable de rester dans ma perspective, sans la remettre en question. Nous avons besoin cette diversité qui nous édifie et qui rend la vie féconde dans L’Eglise et dans le monde.

En renonçant à l’acte sexuel, les religieux et religieuses placent la relation homme-femme, si elle est vécue heureusement, sous le signe d’une relation où l’échange de paroles, le respect et l’amitié fraternelle sont premiers. Le renoncement aux relations sexuelles donne une place particulièrement forte à la parole dans la relation ; les trois vœux classiques font passer par la parole la relation à l’autre, aux biens, à l’ensemble de sa communauté 1 . L’obéissance religieuse, qui n’est pas soumission mais construction d’une communion dans laquelle chacun a sa place dans une recherche commune de la volonté de Dieu, vient travailler jalousies et volontés de puissance. L’appel à une fraternité universelle vient contrecarrer la tendance à dominer l’autre qu’attise toujours la rencontre de la différence et dont la différence homme-femme, par son caractère irréductible et mystérieux, est un terrain privilégié d’exercice.

La relation homme-femme dans la vie religieuse Entre chances et interrogations
Commission théologique de la CORREF, 2022

[1] L’Identité de la vie religieuse, Commission Théologique de la CORREF, janvier 2011.

Cet article fait partie du numéro 77 de la revue FOI

Femmes et hommes : un enjeu de paix

juin-juillet-août 2023

Vie de la Communauté  

Ces articles peuvent aussi vous intéresser…

CANA mission

Unity in a fragile couple

Natalie and Markus Weis

Since the CANA Mission began over 40 years ago, relationships between women and men have changed profoundly in the western world. In Germany, for example, until the late 1970s men could terminate their wives' employment contracts without their consent; it was only in 1997 that marital rape became a ...

On the men's side

Diversity makes life fruitful

Kacper Maliszewski

My name is Kacper, I'm 27 years old, I'm Polish, I come from a family of 4 children, two girls and two boys, my mum is a teacher in a small school, my dad works in bricklaying.At home, men and women know how to cook and split logs with an axe, and daily tasks are shared....

Mission auprès des 14-18 ans

Des adolescents en quête d’identité

Laure Delpech

En juillet dernier, je suis rentrée de trois ans de mission en Côte d’Ivoire, pendant lesquels j’ai pu rencontrer de nombreux adolescents ivoiriens. En arrivant en France pour être au service de la mission auprès des 14-18 ans, j’ai été impressionnée par l’écart des préoccupations q...

Mission CANA

L’unité dans la fragilité du couple

Natalie et Markus Weis

Depuis les débuts de la Mission CANA il y a plus de 40 ans, les relations entre les femmes et les hommes ont profondément changé dans le monde occidental. En Allemagne, par exemple, jusqu'à la fin des années 1970, les hommes pouvaient résilier le contrat de travail de leur épouse sans leur...