Nicole Fabre

Pasteure de l’Eglise protestante unie de France, Lyon

Bible

Entrer en célébration

« Célébrez Dieu ! » Cet appel ne cesse de retentir au long des écrits bibliques, et particulièrement dans le livre des psaumes, où il s’adresse au peuple assemblé dans le temple. Les racines traduites en français par ce verbe sont diverses. Elles donnent à entendre une véritable symphonie, riche de nuances variées. Je vais tenter de traduire ce que j’en entends.

Entrer dans ce mouvement de célébration, c’est entrer tous ensemble dans un mouvement de reconnaissance, dans les deux sens de ce mot : reconnaître et être reconnaissant.

Reconnaître Dieu

Reconnaitre et être reconnaissant nous fait aller à la racine profonde des événements. Pour cela, le premier acte est celui de s’arrêter. S’arrêter, et prendre le temps de regarder. Dieu lui-même, le premier, entre dans ce mouvement. Dès le deuxième jour de la création, au premier chapitre de la Genèse, il prend le temps de regarder la beauté/bonté de ce qui est apparu. Célébrer, c’est donc s’arrêter ensemble, et prendre le temps de regarder l’œuvre de nos mains, en découvrir la beauté/bonté. Cela ne va pas sans un déplacement. Car, lorsque nous le faisons, nos constructions se décantent alors, et laissent peu à peu redécouvrir la racine profonde qui en est à l’origine : la présence même de Dieu, du Dieu créateur et sauveur. Nous sommes déplacés de façon salutaire pour faire place à l’Autre, présent au-delà de ce que nous imaginions : « Si le SEIGNEUR ne bâtit la maison, ses bâtisseurs travaillent pour rien » (Ps 127,1). Célébrer donne à reconnaitre Celui qui donne réellement l’assise à tout notre travail. Nous sommes alors décentrés, voir dessaisis de ce dans quoi nous sommes engagés : tout cela ne prend sens que par sa présence discrète.
Monte dès lors en nous ce chant : « Non pas à nous, SEGNEUR, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire, pour ta fidélité/bonté, pour ta loyauté » (Ps 115,1). Sans lui, toute notre énergie serait vaine. Cette louange est aussi adoration. Revenir ainsi à la source de toute œuvre lui redonne sa véritable force et son sens.

Revenir ainsi à la source de toute œuvre lui redonne sa véritable force et son sens.

Ne pas prendre ce temps de recul nous fait courir le risque de l’idolâtrie. Lorsque nous ne prenons plus le temps de nous arrêter, notre œuvre devient subrepticement « notre œuvre », le prolongement de nous-mêmes. L’image de Dieu s’en voit réduite au résultat de notre travail. Paul Beauchamp dans L’un et l’autre Testament a des pages lumineuses pour évoquer cette tentation. « Leurs idoles sont d’argent et d’or, faites de mains d’homme : elles ont une bouche et ne parlent pas ; elles ont des yeux et ne voient pas… Que leurs auteurs leur ressemblent.» (Ps 115,4-8). Rappelons-nous que Dieu lui-même, le septième jour de la création, s’arrête et se dissocie de son travail. C’est tout le sens du shabbat. Dieu, en faisant le shabbat, fait place à l’homme, mâle et femelle, à toute la création. Et nous, lorsque nous nous arrêtons pour célébrer, nous faisons place à Dieu lui-même : mystère immense de l’alliance sur lequel repose le sens même de l’histoire de notre humanité, de l’histoire de la création elle-même.

Reconnaître la présence des autres

En faisant ce pas de côté, nous permettons à Dieu de nous révéler la présence essentielle des autres, de tant d’autres. Présence qui fait apparaître une beauté nouvelle, insoupçonnée : là même où nous pouvions voir certaines personnes comme maladroites, dangereuses, insignifiantes, ou comme des entraves, l’Esprit nous fait percevoir leur place. Il nous fait découvrir comment les mains de Dieu ont donné forme à cette œuvre à partir de tout ce qu’apportaient les uns et les autres, tels qu’ils étaient, avec leur fragilité et leur péché.
Ouverture dans le même temps à la beauté/bonté de la trinité elle-même. Dès le début, en Gn 1,1, cette diversité existe en Dieu : le souffle de Dieu planait à la surface des eaux, et la parole – Parole faite chair, dira l’évangile de Jean – vient faire surgir peu à peu la création. Nous sommes conduits à la source première de la fraternité : ce qui nous relie les uns aux autres, c’est avant tout le lien essentiel de chacun avec Dieu, le Père, le Fils et l’Esprit Saint.

Fête des 50 ans à l’Abbaye d’Hautecombe

Cela est vrai pour nos parcours d’Eglise, de communautés, entre les Eglises, entre pays, comme pour nos parcours personnels. Paul le clamera : « Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. C’est lui, en effet, notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine » (Eph 2,13-14).

De cette prise de conscience naît la joie profonde donnée dans toutes les vraies rencontres œcuméniques, voire interreligieuses, dans toute rencontre interculturelle véritable. Reconnaître ainsi la place de l’autre, des autres, ouvre à la louange pour tous ceux et celles que Dieu nous a donnés tout au long de notre chemin et plus largement pour tout homme, toute femme. Sans eux tous, la construction ne serait pas ce qu’elle est.

Ne pas prendre le temps d’entrer dans le mouvement de la célébration nous fait courir le risque de l’exclusivisme : dévaloriser ceux et celles qui sont en dehors de notre cercle, de notre Eglise, de notre communauté, ceux et celles qui ne nous ressemblent pas, ou nous désintéressent. Souvenons-nous de la difficulté des premières communautés judéo-chrétiennes à considérer les païens convertis comme des frères et sœurs à part entière. Souvenons-nous de tous les anathèmes prononcés, toutes les caricatures entre personnes différentes qui ont jalonné notre histoire. Sous une autre forme, c’est prendre le risque que notre seule espérance soit que tous les autres en viennent à nous ressembler et à agir comme nous le faisons. Ce n’est, en réalité, qu’une autre forme d’idolâtrie.

En développant ce que c’est qu’entrer dans ce mouvement de célébration, je réalise que le texte « Principe et fondement » de Saint Ignace ne dit pas autre chose : « L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme ».

Fruits de ce mouvement de célébration

Célébrer, et ainsi remonter à ce qui fonde et assure notre travail, produit aussi en nous un lâcher prise. Car dans ce nouveau regard porté, il nous est donné aussi de réaliser toutes nos attitudes, nos attentes, nos actes qui sont venus et viennent encore perturber, compliquer cette construction dont Dieu lui-même est la fondation et dont Dieu seul donne le véritable sens, la véritable orientation. Nous pouvons alors lâcher ce qui nous encombre inutilement, nos attentes infondées, nos vaines actions qui tentent de forcer l’avenir à aller dans notre direction, nos agacements vis- à-vis de telle ou telle personne… Célébrer nous purifie.

Les fruits produits en sont succulents et au bénéfice de tous ! Ce sont ceux de l’Esprit, tels que Paul en parle dans sa lettre aux Galates. Il y parle, d’ailleurs, du fruit – au singulier – de l’Esprit : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Gal 5,22). Notre travail retrouve ainsi dans la célébration sa force, sa simplicité, sa finalité : non pas au service de notre gloire ou de nos rêves, mais au service de l’amour de Dieu pour le monde. Célébrer réouvre ainsi nos chantiers, nos engagements, laissant de façon renouvelée sa place à l’initiative de Dieu et leur place aux hommes et aux femmes qu’il nous donne et nous donnera comme compagnons de route, proches ou moins proches. Oui, il est bon de célébrer l’Eternel pour toutes ses œuvres !

Reconnaître ainsi la place de l’autre, des autres, ouvre à la louange pour tous ceux et celles que Dieu nous a donnés tout au long de notre chemin.

Cet article fait partie du numéro 78 de la revue FOI

LE CHEMIN NEUF FÊTE SES 50 ANS

septembre-octobre-novembre 2023

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