Marie-Farouza Maximos

ccn, sœur consacrée, coordinatrice des programmes à l'Institut Oecuménique de Tantur, Jérusalem

Les femmes dans les trois religions monothéistes

Eve, Sarah, Hagar, Ruth, Marie et les autres

En janvier dernier, l'Institut Œcuménique de Tantur a proposé le programme Hakimah, consacré aux femmes dans les trois grands monothéismes et co-animé par Huda Abuarqoub, Marcie Lenk et Stephanie Saldana. Huda est musulmane, vit à Hébron et travaille pour des ONG au Moyen-Orient. Marcie est juive, américaine, vit à Jérusalem et est spécialisée en études chrétiennes. Stéphanie enfin est syriaque-catholique, américaine, écrivaine, et vit à Bethléem. "A l'origine, raconte Stéphanie, il y a la prise de conscience de l'empreinte patriarcale des pèlerinages en Terre Sainte et de l'absence de lieux importants liés aux femmes qui permettent de comprendre qu'elles font partie d'une longue tradition : c'est une question de fidélité. Il s'agit de revisiter la manière dont on raconte une histoire. Cela change notre expérience d'un lieu mais aussi de nous-mêmes et fait partie de notre chemin de foi".

Eve

Le programme a commencé par l’étude d’Eve. A son sujet, Marcie explique : Dans le premier récit de création (Gen 1:26- 27), l’humain est créé à l’image de Dieu, à la fois mâle et femelle. Genèse 2 semble proposer un récit différent : Dieu endort Adam pour pouvoir tirer la femme de son côté. Son nom vient de adama, la terre : il n’est appelé homme (ish) que lorsque la femme (isha) est créée (Gen 2,23).

Genèse 3 est souvent interprété comme « la chute » dans une théologie du péché originel. Or, il est possible de lire l’Écriture autrement. Eve ne peut être limitée au rôle de tentatrice, car elle et Adam étaient ensemble lorsqu’elle a mangé le fruit (Gen 3,6). Ainsi, chacun est puni pour son péché mais pas éternellement. Si l’homme doit travailler « à la sueur de son front », aucune des traditions juive ou chrétienne n’insiste sur l’interdiction de machines pour l’aider. La punition de la femme, « Il dominera sur toi », ne doit pas non plus être interprétée comme la volonté éternelle de Dieu. Au contraire, lorsque hommes et femmes sortent d’une relation de domination, ils retrouvent le plan originel de Dieu.
De manière intéressante, voici ce qu’écrit le Coran (II, 35-37) : « Et Nous dîmes : « Ô Adam, habite le Paradis toi et ton épouse, et nourrissez-vous-en de partout à votre guise mais n’approchez pas de l’arbre que voici: sinon vous seriez du nombre des injustes ». Peu de temps après, Satan les fit glisser de là et les fit sortir du lieu où ils étaient. Et Nous dîmes : « Descendez (du Paradis) (…) et pour vous il y aura une demeure sur la terre, et un usufruit pour un temps. Puis Adam reçut de son Seigneur des paroles, et Allah agréa son repentir car c’est Lui le Repentant, le Miséricordieux  » ». Pour le Coran, ce sont les deux, homme et femme qui ont été tentés et ont désobéi au commandement de Dieu. La miséricorde de Dieu pourtant, est davantage mise en évidence que la faute de l’être humain.

Bethléem, Hébron, Ein Karem

Nous avons ensuite étudié le personnage de Ruth avant de visiter Bethléem, Sarah et Hagar avant de partir pour Hébron ou encore Elisabeth avant de découvrir Ein Karem (mémoire de la naissance de Jean Baptiste et de la Visitation). Bien sûr, Marie, mère de Jésus, était au cœur des échanges. Une sourate du Coran lui est consacrée et nous l’avons évoquée sur bien des lieux, notamment à la Kathisma 1 , les vestiges d’une église du 5ème s. se situant sur la route des patriarches, près de Tantur. Ce lieu est lié à un récit raconté dans le protévangile de Jacques et repris de manière similaire dans le Coran selon lequel Marie, enceinte, se repose sur un rocher encore visible aujourd’hui. La tradition juive voit ici l’endroit où Rachel est morte en donnant vie à Benjamin. Ce lieu est devenu une sorte de symbole de « Hakimah »: s’arrêter pour goûter repos et fécondité.


Le mont des oliviers et les femmes

Si l’on ne peut évoquer le mont des oliviers sans penser à Marthe et Marie, le lecteur sera peut-être étonné de le voir associé à trois femmes peu connues. Selon la tradition, on y trouve la sépulture de Rabia el Adawwia, mystique et poète musulmane ayant vécu à Basra 2 au 8ème s. On raconte qu' »un jour, se rendant à La Mecque en pèlerinage, elle vit, à mi-chemin, venant à elle, la Ka’aba : « Qu’ai-je à faire de la Maison, dit-elle, alors que c’est du Maître de la Maison dont j’ai besoin, de Celui-là même qui a dit : “Celui qui s’approche de Moi d’un empan,Je m’approcherai de lui d’une coudée 3 .” Pour les Juifs, cette tombe est aussi celle de la prophétesse Hulda, (2R 22-23), que le peuple consulte lorsque le rouleau de la loi est retrouvé, pointant les manquements à l’alliance. Enfin, toute proche a été retrouvée une pierre tombale 4 avec l’inscription : «  + Ici repose la servante et vierge du Christ, Sophie la diaconesse, la seconde Phoebe, endormie en paix, le 21 mars 319 ». Ces lignes placent Sophie dans la lignée d’une diaconesse dont parle St Paul : « Je vous recommande Phoebé, notre soeur, diaconesse 5 de l’Eglise de Cenchrées. Accueillez-la dans le Seigneur d’une manière digne des saints, (…) car elle a été une protectrice pour bien des gens et pour moi-même » (Rom 16, 1-2).

Femmes et croyantes aujourd’hui

Mais notre pèlerinage ne s’est pas limité aux témoignages de pierre ou de papier. Des femmes de ce pays ont pu nous témoigner de leur rôle social, spirituel, intellectuel, mais aussi de leurs défis. Ursula Mukarkar, de Bethléem, s’occupe de l’association « Wings of Hope for trauma » qui assiste les personnes victimes de troubles de stress post-traumatique liés en particulier à l’oppression vécue en Palestine, et ses répercussions dans les familles. Elle a longuement évoqué le rôle des femmes dans un contexte d’inégalité sociale entre hommes et femmes et de politique instable.Nouha Boulos, de Nazareth, nous a partagé la richesse et les défis d’être femme dans la culture arabe : la naissance d’une fille moins désirable que celle d’un garçon, au point parfois de lui donner le nom de « dernière », « Nihaya » pour rompre une série de sœurs et espérer un garçon, les complexités des mariages entre Musulmans et Chrétiens quand un véritable amour les unit, mais aussi le rôle fondamental de la mère et le respect inconditionnel qui lui est dû. Enfin Naomi Marmon Grumet 6 nous a parlé du rôle du miqveh (bain rituel) dans lequel la femme juive mariée doit se purifier après ses règles ou une naissance. Elle a cité les origines bibliques de ce concept en Gn 1,9 : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles se rassemblent (yiqavu) en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme ». Naturellement, les eaux s’attirent les unes En haut du Mont du Précipice à Nazareth les autres et envahissent tout. Leur rassemblement donne naissance à la terre et donc, à la vie. Ce commandement accompagne ainsi les moments de passage dans la vie de la femme (et de l’homme 7 ). Il peut alors être compris comme une nouvelle naissance, un renouvellement de la relation à Dieu et à l’autre.

L’expérience « Hakimah » va bien au-delà : shabbat, découverte des monuments dédiés aux femmes musulmanes influentes à Jérusalem, pèlerinage sur les bords du lac de Galilée avec Marie-Madeleine, la visite du St-Sépulcre précédée par les femmes-apôtres… Le mieux, pour terminer, est de laisser la parole à celles qui ont participé à cette aventure.

Wendy Tajima, pasteure de l’Église presbytérienne, Etats-Unis.  « Hakimah a été l’expérience d’une vie. Elle permet de mettre en valeur le rôle des femmes et les interactions entre judaïsme, christianisme et islam au fil des siècles. Tout cela vécu avec des animateurs exceptionnels qui vivent leur foi et un engagement partagé pour la justice et la réconciliation. Chaque jour, je remerciais Dieu pour cette incroyable bénédiction. Un événement qui a transformé ma vie. »

Jeanette Rodriguez, professeur de théologie et d’études religieuses, Université de Seattle, États-Unis.  « Le programme constituait un bon mélange d’apport intellectuel, de temps de réflexion, d’aventure, de prière et de développement communautaire. La spiritualité qui a été partagée nous a permis de prendre conscience que nous marchions non seulement dans les pas de Marie ou de Rachel ou de Naomi, mais encore plus que nous marchions avec elles. »

Colleen Clayton, prêtre de l’Église anglicane, Australie. « Etre dirigées par des enseignants juifs, chrétiens et musulmans était un moyen fantastique de découvrir les liens et les points de recoupement entre ces trois religions. Notre apprentissage s’est déroulé dans le cadre de visites de lieux saints, d’études de textes sacrés et de partages d’histoires personnelles. Hakimah m’a offert une rencontre profonde, large et généreuse avec la Terre Sainte. »

[1] Kathisma, le siège, là où Marie se serait assise pour se reposer en allant vers Bethléem.
[2] Actuelle Irak
[3] Salah Stetie, Râbi'a de feu et de larmes, Éditions Albin Michel, 2015, p.115.
[4] Visible dans le futur musée de l'église Sainte-Anne, porte des lions.
[5] La nouvelle traduction liturgique mentionne : "ministre de l'Eglise", pour traduire le mot grec "diaconesse".
[6] Fondatrice du centre Eden dédié aux questions du couple et de la féminité dans le Judaïsme.
[7] L'usage du mikvé pour les hommes est un peu différent

Cet article fait partie du numéro 76 de la revue FOI

Ecouter la voix des femmes

mars-avril-mai 2023

Oecuménisme   Regard sur le monde  

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