Magali Raoul

ccn, sœur consacrée, responsable de l'Institut de Théologie des Dombes

Femme en responsabilité

Faut-il s’appeler Wonder Woman pour être femme et responsable ?

Quand on me demande comment je vis le fait d’être une femme responsable dans la Communauté du Chemin Neuf, deux réactions se présentent à moi spontanément. La première est une réaction d’irritation, semblable à celle qui m’habite tous les 8 mars : pourquoi faut-il une journée de la femme, sinon pour acter que les 364 autres jours de l’année sont des journées de l’homme ? De même, pourquoi faut-il toujours se justifier de porter une responsabilité quand on est une femme, alors qu’on ne poserait jamais cette question à un homme ?

Mais une deuxième réaction, plus raisonnée, moins épidermique, vient corriger et équilibrer la première. Etre femme et responsable pose effectivement des questions. Pour les aborder, sans rentrer dans des grandes considérations théoriques, je partagerai mon expérience personnelle. Il me semble que c’est d’ailleurs l’approche la plus intéressante, car chacune de nous entre dans la vie adulte avec une vision de la femme qui lui permet ou non de se projeter dans un poste de responsabilité. De la même façon, chacune possède et développe des traits de caractère qui la prédisposent ou non à une forme de leadership. Nous ne sommes pas égales devant la responsabilité.

Pour ce qui me concerne, j’ai toujours eu sous les yeux le modèle d’une femme en position de leadership : ma mère, qui a fait carrière en entreprise dans des postes de direction, en particulier dans les ressources humaines. De cette histoire familiale, j’ai gardé l’idée, comme une évidence, qu’une femme peut porter des responsabilités, et qu’elle peut le faire d’une manière qu’on pourrait qualifier de « féminine ». En effet, j’ai toujours entendu ma mère prendre soin des personnes dont elle avait la charge, dans l’esprit de ce qu’elle appelait le « rôle social de l’entreprise ». Et j’ai aussi été témoin de l’écho positif que cette manière de faire pouvait avoir chez ses collaborateurs ou employés.

Comment est-ce que j’exerce alors moi-même ma responsabilité ? Ce qui m’apparait lorsque j’y réfléchis, c’est un souci constant de le faire comme un service de ’autre, pour sa croissance humaine et spirituelle. Cela implique par exemple de faire grandir chez l’autre sa conscience personnelle, de lui permettre de développer son autonomie autant que possible et nécessaire. Cela passe par l’écoute de l’autre, l’attention à sa différence, à ses talents, ses compétences, mais aussi ses failles. Je vois là un parallèle avec le soin, ou encore avec l’éducation, deux domaines où les femmes excellent, et où l’écoute est aussi une qualité essentielle. On peut exercer une responsabilité qui n’écrase pas, mais qui fait grandir.

Quand je pense un peu plus à la raison pour laquelle je m’attache à exercer ainsi ma responsabilité, il m’apparait que c’est une manière de remédier à deux travers dans lesquels je peux tomber. Les deux me semblent liés à un manque d’assurance, ou d’estime de soi, un trait de personnalité qu’on retrouve assez souvent chez les femmes. Sans vouloir généraliser, je constate seulement, et cela est confirmé par mon expérience personnelle, que les filles visent moins haut dans leur parcours d’étude, qu’elles ne postulent pas à certains emplois à responsabilité, et qu’elles viennent en masse quand on fait un workshop sur l’estime de soi au Festival Welcome To Paradise pour les jeunes à Hautecombe !

 Ainsi, être une femme en responsabilité, c’est pour beaucoup lutter en permanence contre un sentiment d’inadéquation : suis-je une bonne responsable ? Ce doute peut se manifester par une certaine dureté, le réflexe de se tendre, s’arc-bouter sur sa responsabilité et en abuser, pour ne pas risquer de la perdre. Je dirai que c’est là mon repoussoir personnel : la femme forte qui se tend pour ne pas se laisser marcher sur les pieds, qui se durcit et perd petit à petit toute féminité pour se transformer en Wonder-Woman ou même en Rambo, toute puissante, toute efficace, toute sachante, qui fait tout et ne délègue rien. Complètement à l’inverse, et de manière assez évidente pour ce qui me concerne, la réaction au doute peut se manifester chez les femmes en responsabilité par une vérification permanente qu’elles sont sur la bonne voie, qu’on va être d’accord avec elles, qu’elles vont réussir à éviter le conflit qui les terrorise.

Etre une femme en responsabilité, c’est pour beaucoup lutter en permanence contre un sentiment d’inadéquation : suis-je une bonne responsable ?

Un exemple typique de cette manière de faire, c’est l’animation d’une réunion : quand je dois présenter une idée dans une réunion, je vais faire en sorte d’avoir testé cette idée auprès de chacune des personnes présentes, avant la réunion, pour être sûre que celle-ci soit acceptée lorsqu’elle sera proposée à tous. Un homme, lui, va lancer son idée au milieu de la mêlée et laisser chacun exprimer son désaccord publiquement sans forcément se sentir menacé par ce conflit. Ainsi, quand une femme est placée en position de leadership, elle se trouve prise entre deux écueils pour assumer sa place : soit elle surjoue le côté leader en elle, au risque de se durcir et de perdre sa féminité ; soit elle reste femme, gère ses doutes comme elle peut, et risque de se voir reprocher un manque de charisme, de leadership ou de compétences. Difficile en effet de déplacer les foules derrière ses idées quand on a du mal à les trouver bonnes soi-même ! D’où la nécessité de développer une manière de faire qui ne se calque pas sur celles des hommes, mais qui s’appuie sur les traits plus féminins que sont l’écoute et le soin.

Pour finir, il me semble que ceci est tout particulièrement vrai lorsqu’on parle de responsabilité dans l’Eglise. Dans les lettres de St Paul, la double image du corps, dans lequel les membres trouvent leur place (1 Co 12), et du corps dont la tête est le Christ (Col 1,18), nous donne à comprendre que nous sommes tous frères et sœurs en Christ, quelle que soit notre fonction. Ainsi, l’autorité peut être comprise d’une manière pas seulement verticale, mais aussi horizontale, comme une relation entre frères et sœurs. Je crois que vivre l’autorité comme un soin peut aider à penser la responsabilité dans le cadre de la fraternité : responsable, oui, mais aussi frère ou sœur. Et nous avons la chance, dans la Communauté, de pouvoir vivre nos responsabilités ainsi : porter nos frères et sœurs en sachant qu’un jour on se laissera porter par eux.

Cet article fait partie du numéro 76 de la revue FOI

Ecouter la voix des femmes

mars-avril-mai 2023

Regard sur le monde   Vie de la Communauté  

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