Catherine Denis

mariée, mère de famille, ccn, professeur de théologie morale à l'UCLy enseigne l’éthique affective et sexuelle

13/06/2023

Théologie morale

Femmes et hommes, un enjeu de paix

Réconcilier égalité et différence, tel est pour moi le défi actuel d’une pensée anthropologique et éthique ajustée concernant l’homme, la femme et leurs relations.

Cette urgence d’une réconciliation de l’humanité, en tant que sexuée, dans tous les domaines où hommes et femmes coexistent, est à mes yeux parfaitement illustrée par le choix de placer la sculpture de Josephina de Vasconcellos dans trois lieux hautement symboliques comme le parc de la paix à Hiroshima au Japon, sur les vestiges du mur de Berlin en Allemagne et au cœur des ruines de la cathédrale de Coventry détruite lors de la seconde guerre mondiale.

Au fondement des problématiques contemporaines autour de la différence des sexes se trouve en effet un questionnement suscité par la pertinente distinction entre sexe et genre, introduite dans les années cinquante aux Etats-Unis. Aujourd’hui déployées dans de nombreux domaines, des sciences dures aux sciences humaines, les études de genre interrogent l’interprétation culturelle des différences entre homme et femme, en prenant en compte l’influence de la socialisation et de l’éducation humaines différenciées en fonction du sexe1 . Elles se révèlent précieuses pour accompagner celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans les interprétations traditionnelles stéréotypées de l’identité sexuée et des relations qu’elle semble impliquer. Mais il convient de reconnaître qu’elles viennent désormais interpeller chacun dans sa manière d’articuler, dans son existence personnelle comme dans sa vie relationnelle, la différence des sexes et l’égalité fondamentale entre les humains.

Aujourd’hui incontournable, la distinction entre sexe et genre atteste en effet que paradoxalement la différence sexuée est à la fois la plus évidente et la plus difficile à définir2 . Elle met en évidence la place décisive de l’interprétation humaine sur ce qui distingue homme et femme, en remettant en cause les interprétations toutes faites qui ont pu et peuvent encore être imposées à l’un et l’autre sexe, par la culture aussi bien familiale que sociale. Au delà de certaines approches extrêmes, qui dénigrent le sexe en se focalisant sur l’égalité de genre, force est de constater que ces études de genre ont ouvert un champ d’interrogations inédites au sujet de la différence entre homme et femme. Cette quête actuelle d’une liberté jusque dans l’identité sexuée a le mérite de nous rappeler, que l’humanité de l’Homme3, demeure et demeurera toujours une question non résolue. Chances pour l’anthropologie et l’éthique théologiques, elle nous invite à revisiter ce qui, au sein même de toute identité humaine, relève objectivement de la nature biologique, le sexe et ce qui relève de la réalité subjective, sociale et culturelle, le genre. L’enjeu est de remettre en valeur la liberté de chaque être humain, dans sa vie personnelle comme dans sa vie relationnelle, au cœur même de cette subtile articulation entre nature et histoire, entre essence et existence. Le questionnement existentiel du psaume 8 résonne alors avec une étonnante actualité. « Qu’est-ce que l’humain, homme ou femme, pour que tu penses à eux ? La fille/le fils de l’humain, homme et femme, pour que tu en prennes souci ? ». Cette interrogation du psalmiste, actualisée, nous encourage à appréhender ces délicates questions contemporaines, non pas comme un problème insoluble, mais comme un mystère en lien avec le mystère de Dieu.

Appréhender ces délicates questions contemporaines, non pas comme un problème insoluble, mais comme un mystère en lien avec le mystère de Dieu.

Au fil de l’histoire biblique, la réalité à la fois une et duelle de l’humanité se révèle en effet par analogie avec la réalité du Dieu un et trine. Dans les deux premiers récits de Création qui inaugurent toute l’Ecriture, l’humain, créé homme ou femme à l’image de Dieu, est présenté comme une œuvre de Dieu trinitaire confiée à l’humanité. Reconnaître Dieu comme son Créateur implique de reconnaître son identité sexuée et celle de son prochain de l’autre sexe comme une réalité de fait, donnée par Dieu.

Mais, en lien avec l’histoire de l’alliance, cette reconnaissance implique aussi d’accueillir ce don de Dieu comme une tâche, pour soi et dans la relation à l’autre. Cette responsabilité humaine, mise en valeur dès le second récit de Création, se déploie en particulier autour de l’interprétation de ce qui est semblable et de ce qui est différent entre homme et femme4 . Ainsi se met en place dès l’origine, l’enjeu éthique d’une articulation ajustée entre sexe et genre, entre ressemblance et différence. Or, dans l’histoire vétéro-testamentaire qui fait suite à cet acte créateur, cette réalité de l’humanité sexuée se révèle de façon paradoxale. Sans nier les tensions qu’elle implique, le Cantique des Cantiques n’hésite pas à la célébrer, en elle-même et pour elle-même, en rappelant ainsi le don et la promesse inconditionnelle du Dieu de l’Alliance. En revanche dans le reste des écrits de l’Ancien Testament, elle apparait profondément affectée par le péché. Vigoureusement dénoncée par les prophètes, cette corruption de la relation entre homme et femme se fonde en particulier sur une interprétation désordonnée de la différence des sexes qui remet en cause leur égale dignité.

La réalité de l’humanité, en tant qu’homme et femme, se présente ainsi comme une réalité historique en attente du salut, dans la relation amoureuse mais aussi dans toutes les situations où ils coexistent. C’est alors uniquement dans la nouvelle relation entre Jésus et sa communauté, racontée concrètement par les évangiles et récapitulée au chapitre cinq de l’épître aux Ephésiens, que s’accomplit objectivement le don et la promesse de Dieu trinitaire. En Jésus-Christ, vrai Homme et vrai homme, l’humanité se définit comme une humanité en relation. En lui par l’œuvre de l’Esprit, la relation différenciée entre homme et femme, où s’articulent de fait confrontation et communion, se dévoile comme le modèle de toutes les autres relations humaines. Ainsi se révèle l’œuvre de Dieu trinitaire à laquelle chaque être humain doit correspondre de façon libre et responsable en faisant le choix d’une relation différenciée avec Dieu et avec les autres humains et donc en premier lieu avec l’humain de l’autre sexe.

Dans cette perspective d’un « déjà-là » et d’un « pas encore » de l’accomplissement de l’œuvre de Dieu en l’Homme, trois repères anthropologiques et éthiques permettent d’appréhender la délicate articulation entre sexe et genre en vue d’une réconciliation entre les humains, égaux et différents. Le premier repère invite chaque femme, chaque homme à inscrire son être et son existence dans une histoire relationnelle qui le précède. Créé par Dieu, chaque être humain est né d’une relation entre une homme et femme et il a grandi dans une communauté humaine composée d’hommes et de femmes en relation5.

Si l’humain est soit homme soit femme, il est aussi homme et femme en relation et ce quel que soit son orientation sexuelle.

Le second repère conduit ensuite à affirmer que tout être humain est et existe, en étant selon son sexe, soit homme soit femme tout en étant profondément libre dans sa manière d’exister comme homme ou comme femme, devant Dieu et au sein de la communauté humaine. En lien étroit avec ce second repère, le troisième rappelle enfin que si l’humain est soit homme soit femme, il est aussi homme et femme en relation et ce quel que soit son orientation sexuelle. L’humanité véritable définie en Jésus-Christ comme une humanité en relation invite en effet à reconnaître que l’humanité de la femme comme de l’homme s’accomplit dans l’événement de la rencontre et en particulier dans la rencontre avec l’humain de l’autre sexe. Ainsi, se révèle l’enjeu d’une véritable réconciliation, au niveau des trois repères évoqués précédemment, afin que le mystère de l’humanité, une et duelle, corresponde au mystère d’un Dieu trinitaire faisant alliance avec l’Homme.

[1] « Le sexe désigne communément trois choses : le sexe biologique, tel qu’il nous est assigné à la naissance–sexe mâle ou femelle–, le rôle ou le comportement sexuels qui sont censés lui correspondre– le genre, provisoirement défini comme les attributs du féminin ou du masculin–que la socialisation et l’éducation différenciée des individus produisent et reproduisent ; enfin la sexualité, c’est-à-dire le fait d’avoir une sexualité, d’"avoir" ou de "faire" du sexe. Les théories féministes s’attachent à la problématisation de ces trois dimensions, de ces trois acceptions mêlées du sexe. » Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 5.
[2] « Pour la reconnaître, il n’y a qu’à ouvrir les yeux. Elle serait sans doute la première chose que remarquerait de l’humain, un extraterrestre. Mais il ne suffit pas de la voir ! Encore faut-il l’interpréter, la dire. Elle est aussi ce qui se conjugue au "masculin" ou au "féminin".
[…] Il est vrai que la relation du sujet à son sexe, à son « identité sexuelle » n’est pas immédiate. Elle passe par la conscience, l’inconscient, la culture, toute une histoire. La fameuse "petite différence" peut être plus ou moins soulignée… L’entourage se croit obligé de la marquer en habillant les filles en rose et les garçons en bleu, en offrant aux premières des poupées et aux seconds des camions. Le donné corporel est repris, accentué, médiatisé par la culture. » Xavier Lacroix, De chair et de parole. Fonder la famille, Paris, Bayard, 2007, p. 138.
[3] Avec un grand H pour signifier le sens inclusif d’hommes et femmes.
[4] Gn 2, 18-25.
[5] « Voici ce qu’est le corps : un témoin de la création en tant que don fondamental, donc un témoin de l’Amour comme source dont est né le fait même de donner. La masculinité-féminité -c’est-à-dire le sexe- est le signe originel d’une donation créatrice d’une prise de conscience de la part de l’être humain, homme-femme, d’un don vécu, pour ainsi dire de la manière originelle. C’est avec cette signification que le sexe prend place dans la théologie du corps ». Jean Paul II, Homme et femme il les créa, une spiritualité du corps, ch XIV La révélation et la découverte de la signification sponsale du corps (9 janvier 1980), § 4

Cet article fait partie du numéro 77 de la revue FOI

Femmes et hommes : un enjeu de paix

juin-juillet-août 2023

Formation Chretienne  

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