Intervention du Fr. B. Cadoré au Chapitre Général CCN

La fraternité, un horizon missionnaire

Ancien maître de l’ordre des Prêcheurs, le père Bruno Cadoré fut invité au Chapitre Général de la Communauté du Chemin Neuf, qui eut lieu du 7 au 20 août 2023, à l'Abbaye d'Hautecombe. Ses interventions, pétries d'une longue expérience d'accompagnement de Chapitres, donna aux capitulants des pistes de réflexion. « Un Chapitre sert à célébrer la grâce reçue ». Quelle grâce a reçue la Communauté? En quoi est-ce une responsabilité à l'égard de l'Eglise?
Frère Bruno Cadoré

En vous écoutant, en lisant ce que vous avez écrit sur les post-it concernant l’interculture, la formation, le style de vie, l’œcuménisme, les fraternités de quartier, le ressourcement spirituel, la gouvernance, la mission, je me disais que ça ressemble beaucoup à des tas de Chapitres auxquels j’ai pu participer. Les questions sont des questions importantes. Elles consistent à vous dire : en tant que Communauté du Chemin Neuf, compte tenu de ces questions que nous nous posons, comment allons-nous les aborder, les traiter, les résoudre, s’il y a à les résoudre, de sorte que nous servions la vocation de l’Eglise ? C’est en tout cas, dans mon expérience, la seule vraie question qui se pose dans un Chapitre.

La seule vraie question qui se pose dans un Chapitre : « Comment allons-nous aborder, traiter, résoudre les questions, de sorte que nous servions la vocation de l’Eglise ? »

Le premier point qui m’impressionne, c’est que vous parlez beaucoup de fraternité. Vous parlez beaucoup de frères et sœurs. Et je pense que c’est très important parce que la fraternité est la manière dont on nommait, on désignait l’Eglise primitive. Quand on parle de fraternité, on parle de la naissance de l’Eglise. C’est à dire que le fait de parler de fraternité nous rend responsable de la naissance de l’Eglise. C’est de cela que nous avons à répondre. Et lorsque l’on dit qu’on est un corps apostolique et communautaire diversifié pour évangéliser, ça veut dire que nous sommes, vous êtes, ce corps pour assister à la naissance de l’Eglise, pour consolider la naissance de l’Eglise, pour faire émerger la naissance d’une Eglise qui est fraternité.

Et il faut évidemment éviter de réduire cette réalité des fraternités à un organe collectif qu’il s’agit d’organiser. Il faut l’organiser bien sûr mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi éviter de le réduire à la dimension morale de la fraternité. Il y a, bien sûr, une certaine éthique de la vie en fraternité, mais on n’est pas fraternel pour être un être moral. En tout cas, ce n’est pas suffisant. Et je voudrais insister, dans ce premier point, pour dire qu’on est attaché à la fraternité parce que la fraternité est un combat, elle est un travail comme le travail de la naissance. C’est un combat.

Je suis très frappé de voir que, lorsque Jésus vient au milieu des siens, il leur dit, il nous dit donc : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis ». Puis il voit ses amis et là il affronte la division, il affronte le mal, il affronte le mensonge, il affronte la trahison. Il en meurt, il y passe sa vie. Ressuscité, il envoie ses disciples, Marie-Madeleine la première, pour dire à ses frères qu’il les attend et qu’il est relevé d’entre les morts. Comme s’il y avait une sorte de passage de ce temps où il était familier avec eux et amis avec eux, à ce temps où désormais il n’a pas honte de les appeler ses frères et où il envoie ses disciples annoncer à ses frères qu’il est relevé d’entre les morts.

Quand on parle de fraternité, on parle de la naissance de l’Eglise.

Il me semble alors que lorsque nous nous engageons à répondre de la fraternité, nous nous engageons au combat de l’affrontement du mal qui empêche l’humain de réaliser sa capacité fraternelle. En étant supérieur de l’Ordre des Dominicains, j’ai pu constater, lors de la visite des communautés religieuses, que c’est plein de belles surprises mais c’est aussi plein de problèmes. C’est à dire que ça ne va pas de soi de vivre en frères et sœurs.

D’ailleurs, le psalmiste prend la peine d’écrire un psaume entier pour dire comme il est beau pour des frères quand ils vivent ensemble et sont unis. Cela veut bien dire que ça ne va pas de soi. Il ne suffit pas de s’appeler frère et sœur pour être vraiment dans cette condition pratique. Il faut le devenir et il faut pour cela combattre ce qui empêche l’humain de réaliser la fraternité. Et ce combat est un combat pour la vie.

Lorsque le frère Roger de Taizé disait que les communautés étaient des paraboles de communion, il utilisait bien le mot parabole. C’est à dire que c’est presque ça mais ce n’est pas ça. C’est presque arrivé, mais pas tout à fait. C’est toujours à refaire, c’est toujours à reprendre. Et cela, vous le vivez dans l’Eglise et vous voulez le vivre comme ce corps constitué dans la diversité. C’est à dire avec un certain nombre de réalités qui sont des objets de combat.

Dans l’Eglise catholique, cela ne va pas de soi de dire qu’il y a une véritable réciprocité des hommes et des femmes, qu’il y a une véritable équité entre les hommes et les femmes. Équité dans la parole, dans l’interprétation de la parole, dans la transmission de la parole.

Dans l’Eglise, cela ne va pas de soi de dire qu’il y a égalité des états de vie. Tous les états de vie sont toujours identifiés et un peu sanctuarisés par les autres, au point qu’ils risquent de construire des différences. Cela ne va pas de soi de vivre ensemble en fraternité de vie ou de vivre ensemble en fraternité de quartier. Il y a toujours à chercher comment les deux types de vie fraternelle vont s’articuler et se soutenir mutuellement, se faire grandir mutuellement, se recevoir mutuellement les uns des autres.

Vous avez donc progressivement choisi d’organiser la Communauté du Chemin Neuf autour de réalités pour lesquelles il y a un vrai combat de fraternité à mener. Or, ce combat est un combat que l’Eglise, dans son ensemble, a besoin de mener. Autrement dit, dans l’Eglise, cela ne va pas de soi de dire qu’une communauté paroissiale est une communauté fraternelle, qu’une paroisse est d’abord une communauté fraternelle et qu’une paroisse d’aujourd’hui a autant le droit d’être nommée « fraternité » que l’Eglise primitive. Ce n’est pas un ensemble de participants à des événements organisés par d’autres. Ce n’est pas seulement un lieu de consommation des sacrements, ce n’est pas seulement un lieu de prestation de services. C’est d’abord une communauté humaine de croyants qui veulent ensemble apprendre à devenir frères et sœurs.

Ainsi, constituer une communauté qui met au cœur d’elle-même cette interpellation fraternelle, c’est délibérément se mettre au service de l’Eglise pour faire que cette interpellation devienne toujours davantage réalité. Et il me semble que c’est un horizon missionnaire.

L’évangélisation, c’est déjà de dire qu’une communauté qui se destine à devenir corps du Christ, dans son état d’humanité, a le droit de revendiquer, d’être aidée, soutenue, consolidée, consolée dans son désir de devenir fraternelle.

Constituer une communauté qui met au cœur d’elle-même cette interpellation fraternelle, c’est délibérément se mettre au service de l’Eglise pour faire que cette interpellation devienne toujours davantage réalité.

Ceci situe votre chapitre dans une perspective très particulière de ce moment de la vie de l’Eglise où elle prépare ce synode sur la synodalité. Et du coup, la réflexion que vous allez mener, que vous avez commencé à mener pendant toute l’année capitulaire et ce que vous allez déterminer pendant votre Chapitre ne peut pas être regardé en dehors des enjeux de la synodalité dont l’Eglise catholique veut parler pendant le mois d’octobre prochain. Et cette réalité fraternelle est certainement très importante.

Ensuite, vient la question de la diversité, de la communion et de la diversité, ou de la diversité dans la communion. Pourquoi est-elle importante ? Evidemment, il y a une diversité des états de vie, une diversité des genres, une diversité des manières de vivre et des lieux de vie, en fraternité de vie ou de quartier.

Mais ce qui est important, c’est que chacune de ces diversités est l’occasion d’un certain type d’expérience croyante, d’une certaine façon de devenir croyant. Et je pense que vous avez entre les mains une réalité qui vous est donnée, qui vous oblige en quelque sorte à tenir compte du fait qu’on n’est pas croyant de la même manière, selon qu’on est marié ou célibataire consacré. On n’a pas engagé notre chemin, notre cheminement de foi de la même manière à l’égard de l’annonce de l’Alliance selon qu’on a choisi d’être marié ou choisi d’être célibataire consacré. Ça n’est pas la même expérience croyante.

Abbaye d’Hautecombe, août 2023

Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont rien à voir, cela ne veut pas dire qu’elles n’ont rien à se communiquer mutuellement, mais elles ne sont pas identiques. Elles ont donc besoin d’être écoutées, respectées et leur mystère a besoin d’être écouté et respecté. D’un côté, on va inscrire quelque chose de l’Alliance dans la réalité charnelle de notre existence, dans la réalité concrète de notre amour. D’un autre côté, on va servir cette réalité de l’Alliance dans une certaine distance et un regard d’emblée plus général, et du coup l’existence personnelle ne va pas s’engager de la même façon.

En tout cas, cette diversité vous oblige à confesser ensemble une même foi alors que l’expérience croyante n’est pas dans les mêmes conditions. Et c’est un service immense à rendre à l’Eglise.

Vous êtes un corps qui veut s’exposer au monde, chacun par lui-même, mais plus encore, chacun grâce aux autres. L’Eglise a besoin de ça, de découvrir à nouveau qu’elle est d’abord une fraternité de croyants. Elle ne peut pas devenir ce elle est si elle oublie par le monde ceux qui sont oubliés. B. C.

Cet article fait partie du numéro 78 de la revue FOI

LE CHEMIN NEUF FÊTE SES 50 ANS

septembre-octobre-novembre 2023

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