Face aux nouveaux enjeux économiques et environnementaux, Thierry Roche, avec son équipe
d'architectes, cherche des solutions afin de « dessiner la ville de demain ». Sa démarche a pour objectif
de « redonner foi et goût en l’avenir ». « Heureuse cité où les anciens plantent des arbres pour procurer
de l'ombrage aux générations futures »
Architecte urbaniste engagé dans une démarche globale de réponses aux enjeux environnementaux, j’ai côtoyé durant de nombreuses années des spécialistes éclairés sur les questions environnementales. La plupart étaient des ingénieurs. Leurs facultés d’analyse ont permis de donner une rationalité aux événements et de proposer des solutions. Un problème, une solution, un ingénieur, une procédure, une certification, un label. Cela a permis de mettre en équation des prévisions mais aussi des réponses concrètes, mesurables et donc rassurantes pour les politiques. Les différentes « COP » qui se sont succédé ont été entretenues par des constats chiffrés et des orientations quantitatives (Bilan carbone, CO2, énergies…)
En tant qu’architectes, nous avons contribué à cette recherche de la performance chiffrée, parfois même jusqu’à en être enivrés, dans la réalisation des bâtiments les plus performants, en ayant le prétexte conscient de vouloir sauver le monde. Nous étions au début des années 2000, Il fallait tout réduire par 4 (consommation, énergie, emprunte carbone…) et l’imposer, au risque de ne pas être compris. Nous avons même soutenu parfois l’apport de technologies intrusives pour gérer, contrôler, optimiser les consommations au nom d’une performance à atteindre.
Nous avions simplement oublié une chose : nous étions dans le « comment », dans la recherche d’objectifs à atteindre, mais finalement sans prendre en compte le « pour qui ? ». Nous avons mis dans l’inconfort et l’incompréhension l’habitant qui ne percevait pas forcément encore les enjeux.
Alors que l’environnement était une question de spécialistes, elle est devenue une question sociétale et anthropologique : à quelle société voulons-nous contribuer, quelles valeurs pouvons-nous partager ?
Ainsi la COP 27 aurait certainement dû être la COP de la transition vers la question existentielle de notre avenir commun. Jusqu’à présent, les débats des scientifiques portaient sur le chiffre après la virgule, sur les tendances des hausses des températures, et sur les actions chiffrées à mettre en œuvre. Aujourd’hui, la mutation de notre société, et les questions existentielles qu’elle pose, viennent perturber et complexifier le débat. Nous avions jusqu’à présent, deux courants de pensée radicalement opposés : la pensée transhumaniste qui vise à résoudre les enjeux de société avec l’apport de la technologie à travers la physique quantique, le numérique, les algorithmes, le métavers…et « l’écologisme » qui, à travers sa radicalité, prône la décroissance plus que la frugalité, la sanctuarisation du monde végétal et animal. Si le premier traduit une véritable angoisse de la souffrance et de la mort, souhaitant la maîtrise des événements, le second traduit, parfois violemment, l’angoisse de l’avenir et de la transmission. Ces deux courants s’opposent donc et se radicalisent, mais plus que cela, ils excluent ceux qui ne font pas partie de leur communauté de pensée.
Ces derniers mois nous rappellent, avec violence, la tension extrême des éléments qui pèsent sur nous individuellement et collectivement. Tous les enjeux nous percutent : hausse des températures, crise de l’énergie, de la production agricole, restriction de l’eau, pandémie sur fond de crise géopolitique grave.
Avons-nous cette capacité de rebond qui permet une adaptation aux événements pour les dépasser ?
Nous n’avons pas d’autre choix que de collaborer pour co-concevoir un modèle de société qui devra mettre au cœur l’écoute empathique
Nous n’avons pas d’autre choix que de collaborer pour co-concevoir un modèle de société qui devra mettre au cœur l’écoute empathique dans cette « co-pétition » pour relever les défis. Les nouveaux modèles circulaires vertueux s’inventent : économies circulaires, ville du ¼ d’heure, retour aux modèles culturels identitaires, redécouverte des vertus de la proximité.
Mais, parallèlement, apparaît l’émergence de revendications identitaires, de minorités en soif de reconnaissance, qui, au lieu de rassembler, divisent nos forces et affaiblissent notre concentration face à la violence des événements. Le risque apparait donc d’un repli identitaire par « tribus » d’appartenance.
Je suis frappé de voir, lors de présentations de projets architecturaux ou urbanistiques en réunions publiques, la violence qui s’exprime à travers les débats, et qui fait émerger des besoins individuels parfois très paradoxaux. Cette violence traduit nos rapports individuels aux enjeux que nous vivons et des peurs qui s’y rattachent. Ainsi se télescopent les angoisses de ceux qui veulent que rien ne change, ceux qui veulent une mise en œuvre d’une nouvelle organisation sociale radicale, et entre les deux, ceux qui revendiquent une évolution mesurée en relativisant les enjeux plus globaux.
Le thème des déplacements en est un exemple (vélos, voiture, stationnement) Il déclenche en effet le plus de réactions radicales et violentes.
Nous en revenons donc à la lutte entre les réformateurs et les révolutionnaires, qui, en d’autres temps, a animé notre histoire politique.
Dans l’urgence, doit-on être radical au risque d’entrainer la discorde (aux révolutions a toujours succédé la terreur) ou doit-on réformer, au risque de perdre du temps (négociations, consensus, vote…) ?
Pendant ce temps, les règles du jeu de l’économie mondiale sont en train de changer. Le capitalisme traditionnel se meurt, et l’aspiration à un nouveau paradigme qui semble tout bousculer, s’installe : l’économie sociale et solidaire ainsi que les communaux collaboratifs (réseaux d’usagers d’objets ou de producteurs de services s’organisant autour de l’intérêt de la communauté).
C’est une nouvelle économie qui se développe, où la valeur d’usage souhaite primer sur la propriété, où la durabilité supplante le consumérisme, et où la coopération chasse la concurrence. Ces communaux collaboratifs sont en plein essor : l’autopartage, le crowdfunding, le couchsurfing, les producteurs contributifs d’énergie verte ou d’imprimantes 3D…très prisés des jeunes générations souvent urbaines.
En tant que concepteurs de lieux de vie, nous avons été amenés à proposer des « espaces capables », où les habitants peuvent s’exprimer dans leur désir de raconter leur histoire et d’apporter leur contribution d’une manière collaborative et joyeuse. Nous les avons appelés : ‘espaces de courtoisie’. Cela se traduit par des espaces communautarisés, comme les toitures habitées, des jardins partagés, des bibliothèques communes … autant d’interstices où rien n’est prévu et où tout est possible, tout est à inventer par les habitants eux-mêmes. Pour nous, il n’est plus question de ne répondre qu’aux désirs des habitants, mais aussi de leur donner du désir.
Notre expérience d’accompagnement au changement passe par l’expérience du goût de l’autre et du goût de l’avenir. Notre rôle d’urbaniste est de dessiner la ville de demain, sans savoir quelle sera notre vie, ne serait-ce que dans deux ans. Pour cela, notre objectif est de promouvoir une ville qui prend soin des équilibres et des contradictions, qui préserve l’intimité et promeut la rencontre en étant inclusive et économiquement viable, tout en intégrant les risques environnementaux.
Des espaces communautarisés, … autant d’interstices où rien n’est prévu et où tout est possible, tout est à inventer par les habitants eux-mêmes.
Le confinement est un exemple d’événement qui contribue à développer notre capacité d’adaptation. Les grandes catastrophes qui ont touché les villes ont plutôt contribué à les améliorer qu’à les abandonner, et c’est en partie aux épidémies passées que nous devons nos égouts, nos aqueducs, nos grands parcs.
Que retiendra-t-on de la COP 27 ? Alors que les enjeux sociétaux nous submergent, on aurait pu penser qu’une approche anthropologique qui prenne en compte la complexité de notre condition humaine s’y exprime. Or, nous avons à nouveau assisté à un combat d’experts-comptables négociant les primes d’assurance. On pourrait donc s’en attrister et ne plus avoir foi en l’avenir en attendant la COP 28…
Ayant la chance de rencontrer de nombreux acteurs du changement en France et à l’étranger, je reste émerveillé par ce bouillonnement d’intelligence qui émerge de toutes parts, sans faire de bruit.
Il y a les lanceurs d’alertes parfois bruyants (et c’est tant mieux) et puis il y a les « faiseurs », ceux qui sans cesse cherchent, trouvent parfois et échangent sans faire de bruit.
Personnellement ces rencontres me font du bien et me donnent foi en l’avenir. Ces acteurs sont tous animés par le désir de contribuer à un monde plus juste et plus fraternel, par le goût de l’autre et la foi en l’avenir.
Lucides sur les enjeux, ils pêchent en eaux profondes, conscients de la grande bifurcation que nous vivons, sans tomber dans la nostalgie (en référence à Jean Claude Guillebaud dans son ouvrage Le goût de l’avenir).
Profondément, je crois que l’Esprit Saint est à la hauteur des enjeux de ce monde à la fois beau et vulnérable, et, à son écoute, je désire faire ma part, et contribuer à ce ‘Magis’, ce davantage avec d’autres…
Cet article fait partie du numéro 75 de la revue FOI
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P. Renato Colizzi, sj,
Secrétaire du Provincial des Jésuites à Rome. Président de la fondation Magis...
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